La Préhistoire
La tente dans la littérature

Les textes sacrés
Dans les textes sacrés qui ont marqué l’histoire des civilisations, la tente s’élève au-delà de la fonction de simple abri. Dans la Torah, la Bible et le Coran, la tente en tant qu’élément sacré devient symbole de protection divine.
« Vous habiterez pendant sept jours dans des tentes / afin que vos descendants sachent que j’ai fait habiter dans des tentes les fils d’Israël lorsque je les ai fait sortir du pays d’Égypte. » (Chapitre 23, 39-44).
Voici les instructions divines données à Moïse. La tente revêt ici le lien symbolique divin entre le passé, rappel des épreuves du peuple juif, et le présent. Le Souccot, ou la Fête des Tentes, est célébrée afin de garder en mémoire ces quarante années d’errance du peuple d’Israël dans le désert. Aujourd’hui, les plus pratiquants construisent leur propre tente en respectant la condition suivante : tous les matériaux utilisés pour l’élaboration de la tente doivent être issus de la terre et la tente doit être dépourvue de toit afin que l’on puisse y voir les étoiles la nuit. Une célébration pleine de sens qui permet de renouer avec le passé.
Dans la Genèse, Jabal, est décrit comme le premier berger nomade à vivre sous la tente : « Ada enfanta Jabal : il fut le père de ceux qui habitent sous des tentes et près des troupeaux » (Chapitre 4, 20). C’est donc de ce personnage que les nomades seraient descendus par la suite, engendrant les différentes populations qui parcourent leurs terres équipées de leurs tentes pour accompagner leur troupeau.
Dans l’Ancien Testament, l’Exode relate le terrible voyage qu’entreprend le peuple d’Israël, guidé par Moïse, pour rejoindre la Terre Promise au cours duquel il dût s’abriter sous des tentes pour survivre. Au cours de ce périple, Dieu décrivit à Moïse les moindres détails de la tente qu’Il lui ordonna d’ériger. Plus connue sous le nom de Tabernacle, elle devint un lieu de culte pour le peuple d’Israël et le réceptacle des Tables de la Loi. Le choix du nom tabernacle n’est d’ailleurs pas anodin et fait directement référence au sujet de cet ouvrage : « Tabernacle » vient du mot latin « tabernaculum » qui signifie « tente, hutte ».

Selon certains hadiths de la religion musulmane, des récits qui rapportent les paroles du prophète Mahomet, il est promis aux bons croyants une « tente faite d’une seule perle creuse » à leur arrivée au Paradis. L’habitat est décrit comme une tente aux dimensions impressionnantes, trente miles selon certains, soixante miles pour d’autres : dans tous les cas, la promesse de la récompense est grande. Cette image grandiose de tente paradisiaque présentée comme récompense divine pour les fidèles, devient un symbole suprême de protection et de sécurité éternelle.
Ces œuvres religieuses ont insufflé à la tente une dimension spirituelle et mythique, la hissant au-delà de la simple fonction matérielle. Elle est ainsi détachée de la simple réponse au besoin primaire de l’Homme : pouvoir s’abriter, et de sa fonction militaire d’abri de soldats.
La tente de l’empereur perse Alexandre le Grand
334 avant J.-C.. À ce moment-là, Alexandre le Grand, roi macédonien, envahit l’Anatolie qui correspond à la Turquie actuelle puis entame sa conquête de l’empire Perse. Bataille après bataille, victoire après victoire. Grand stratège, véritable référence militaire et idole des plus grands conquérants, il ne connut de sa courte vie (il est mort à 32 ans seulement) aucune défaite !
Alexandre le Grand, au cours de cette conquête, emmenait sa tente. Elle était de forme circulaire, faite de toile et de peau, et reproduisait les appartements privés des palais (salle de banquet, ou encore salle de bains). L’empereur avait pour coutume de l’agrandir, à chaque nouvelle victoire, en s’appropriant les biens des perdants.

Réel symbole de pouvoir et de grandeur, cette tente avait pour but de raconter en un coup d’œil toutes ses victoires. À partir de 330 avant J.-C., il avait même fait installer un trône afin de marquer sa souveraineté et son autorité.
Lorsqu’il vainquit Darius III, roi des Perses, il put découvrir le luxe de la tente du roi défunt et l’ajouter à sa collection.
Plus Alexandre le Grand remportait de batailles et plus le matériel à transporter était encombrant. Chameaux et porteurs spécialisés (les gangabas) participaient à l’opération. Avant d’établir le camp militaire, le terrain était aplani par des ouvriers afin que la tente puisse y être dressée.
La tente d’Alexandre fut décrite dans les récits historiques de Plutarque, historien antique grec : « Quand Alexandre vit les bassins, les baignoires, les urnes, les boîtes à parfums, le tout d’or massif et d’un travail parfait (…) il se tourna vers ses amis et leur dit : Voilà ce qu’on appelait être roi ».
Dans Le Roman d’Alexandre, roman français de la fin du XIIe siècle, l’auteur Bernay nous relate les conquêtes du célèbre empereur macédonien, Alexandre le Grand et l’univers luxueux de sa tente. Dans cette œuvre littéraire, la tente militaire d’Alexandre le Grand devient un objet d’art dont la description détaillée témoigne de la fascination qu’elle suscite chez l’auteur. Cette description en ekphrasis (une description précise et détaillée) participe à l’élaboration de l’image du prince guerrier, accompagnant ses troupes à la guerre. Le vocabulaire employé témoigne d’une réelle connaissance et d’un intérêt certain pour la composition de la tente. Bernay met également en avant les matériaux luxueux utilisés afin de signifier par extension, la grandeur de son hôte. Cette œuvre a été réécrite au début du XIIIe siècle par un auteur castillan, reprenant le concept d’ekphrasis et témoignant de la même fascination pour la tente de l’empereur.
Alexandre le Grand incarne la notion de roi-guerrier. Il accompagne ses troupes dans les batailles, et sa tente représente à la fois la puissance de son armée et la grandeur de sa personne. En acquérant les tentes des vaincus, il donne une dimension tout à fait intéressante à la tente : symbole de pouvoir, elle revient au plus fort.

Les historiens dans l'Antiquité romaine
L’Antiquité romaine est une période riche en évènements militaires et politiques au cours de laquelle les conflits ne manquaient pas. Et qui dit conflit, dit armée, qui dit armée… dit tentes ! Plusieurs auteurs antiques firent le pari de retranscrire l’histoire des dirigeants romains et de l’Empire, en détaillant les guerres et le quotidien des soldats sous la tente.
Dans La Guerre de Jugurtha, Salluste nous plonge au cœur du conflit entre Jugurtha, le roi des Numides, et Rome. Les tentes militaires sont indissociables du récit historique, notamment dans la description des campements des soldats et plus particulièrement des quartiers de commandement. Les campements militaires sont évoqués comme les lieux de vie commune mais également de prise de décision et d’élaboration de stratégies.
Tacite, historien, philosophe et sénateur romain, dépeint avec finesse dans son ouvrage Histoires, la guerre civile qui agita Rome après la mort de Néron, période plus connue sous le nom de « l’année des quatre empereurs ». Le trône d’empereur est vaquant. Deux prétendants se font la guerre afin d’imposer leur supériorité à l’autre et de prendre le pouvoir. Dans le Livre II (44-45), les partisans d’Othon, conscients de l’ampleur des désastres de ce conflit interne, acceptent la proposition de paix des partisans de Vitellius. C’est au sein des tentes que vainqueurs et vaincus partagent les mêmes peines et pansent mutuellement leurs blessures.
Dans le Livre V (21-22), les Germains élaborent une tactique ingénieuse afin de déstabiliser les Romains pour mieux les attaquer : couper les attaches des tentes sous lesquelles les soldats se reposent. Les Germains, en les coupant, sont parvenus à semer la panique parmi les soldats.
« les Germains (…) choisissent une nuit sombre et nébuleuse, s’abandonnent au courant du fleuve, et pénètrent sans obstacle dans les retranchements. Leurs premiers coups furent aidés par la ruse ; ils coupent les attaches des tentes, et massacrent nos soldats enveloppés sous leurs propres pavillons ».
Dans La vie de Douze Césars de Suétone, l’auteur relate une anecdote concernant l’empereur Caligula de son vrai nom Gaius Julius Caesar Germanicus, il tient son surnom d’une plaisanterie militaire. Ayant grandi dans un camp romain au bord du Rhin, commandé par son père, il vécut au milieu des tentes et des soldats qui le surnommèrent « petite sandale » qui se disait « cagula ». L’empereur connut ainsi dès son plus jeune âge la vie sous la tente militaire.
Ces récits historiques nous plongent dans une autre vie, dans le quotidien des soldats romains en campagne militaire où la tente est plus qu’un simple abri.
La fiction romanesque : entre réalité et fantasme
Tantôt le reflet d’une réalité historique, tantôt la représentation d’un idéal, les tentes et leur importance sont mises en scène dans plusieurs œuvres fictionnelles. Ces récits nous offrent une exploration fascinante de la façon dont la tente est représentée dans la fiction à travers les âges.
Dumas intitule, dans le troisième tome de la trilogie des Trois Mousquetaires, Le vicomte de Bragelonne (publié en 1850), un de ces chapitres « Les tentes » (Chapitre 85). Les tentes deviennent le théâtre des confrontations et des rivalités entre les personnages, à savoir le duc de Buckingham, ambassadeur d’Angleterre en France, et le comte Raoul de Bragelonne. Décrites comme richement décorées, les tentes incarnent la puissance de leurs hôtes français : la Princesse Henriette et sa garde rapprochée.
Dans un autre registre, les auteurs de fiction contemporaine du genre fantastique et science-fiction explorent les possibilités infinies qu’offre l’imagination et réinventent le monde.
Dans Dune, publié en 1965, Frank Herbert met en scène les Fremens, des habitants nomades du désert de la planète Arrakis au sein desquels se réfugie le héros Paul et sa mère. Ces derniers sont parvenus à élaborer une technologie capable d’assurer leur survie : la tente distille, qui en plus d’être un abri portable pratique pour leur mode de vie, est capable de recycler l’eau rejetée par le corps de ses hôtes.
Plusieurs années plus tard, en 2000, J.K. Rowling invente la tente idéale par excellence dans Harry Potter et la Coupe de Feu, le quatrième tome de la saga. La tente magique des Weasley, bien que d’apparence étroite vue de l’extérieur, dispose d’une surface particulièrement impressionnante une fois à l’intérieur et permet d’accueillir toute la famille. Cette tente, relevant du registre fantastique, reflète le désir universel d’une tente peu encombrante, facile à monter et qui permet d’abriter de nombreux hôtes tout en offrant plus d’espace que le strict nécessaire. Ne serait-ce pas le rêve absolu ?

À travers la fiction romanesque, la littérature nous offre une autre approche de la tente militaire, de son utilisation et des attentes qu’elle engendre, tout en nourrissant notre imagination de possibilités infinies.